Déguisez-vous ou attendez-vous à être exposé(e)s
Le travestissement cache-t-il quelqu’un d’autre à l’intérieur ? Est-il une tentative d’usurper une identité ? Un déguisement est peut-être en fait une mise à nu ? Il a la capacité de révéler un alter ego qui n’est pas autorisé à s’extérioriser dans le monde, dans les circonstances du quotidien mais peut se permettre de s’exprimer lors d’une fête ou d’une surprise-partie.
J’ai écouté une fois la conférence d’une costumière de théâtre qui traitait de la différence entre un déguisement et un vêtement. Elle soulignait le fait que le vêtement représente la personne qui le porte mais que le déguisement le / la travestit en un/une autre. Et pour raison, ce sont des opposés. L’habillement informel est la forme la plus spontanée, à l’opposé d’un vêtement souvent plus représentatif, comme les uniformes de diverses professions, un écolier, un militaire, un moine par exemple. Le vêtement en arrive à figurer une nature claire et on lui accorde de la réflexion, de l’apprêt et des codes. Par conséquent, il n’est pas spontané.
Au contraire, le déguisement permet de sortir de soi-même et d’exister momentanément comme un autre, ce qui lui confère une capacité de relâchement et de charme. C’est la raison pour laquelle beaucoup de gens l’aiment et que le festival du Burning man et autres semblables prospèrent dans la mascarade.
Il est un domaine où la différence s’estompe, le monde du ‘drag’, dans lequel les hommes se travestissent en femmes dans des représentations carnavalesques aux tendances provocatives. Ces hommes sont qualifiés de ‘drag-queens’ mais on découvre de plus en plus aussi de ‘drag-Kings’, c’est-à-dire des femmes déguisées en hommes. J’étais récemment dans un show « Drag in the Living Room” à la Gallery House à Haïfa, où l’un des acteurs a émis son avis que leurs costumes n’étaient parfois qu’un style d’habillement qui leur est propre. L’acteur en question dit pendant la représentation qu’en réalité ils ne se déguisaient pas en quelqu’un d’autre mais qu’ils revêtaient leur vrai self. Les drag-queens ne vivent pas normalement dans des vêtements féminins. C’est seulement dans les shows qu’ils deviennent des femmes. Il n’en reste pas moins qu’on a soutenu que l’apparence féminine est l’approche du self de l’acteur. C’est d’autant plus surprenant qu’on voit mal une femme imaginer porter de telles tenues caricaturales, osées et théâtrales.
A mon avis, il s’agit là d’une déclaration personnelle touchant l’alter ego, qui n’a pas sa place dans la vie quotidienne, du moins dans une société ordinaire, qui se meut dans des tons plutôt gris, où le politically-correct est la norme. En contraste frappant, les shows drag ne sont pas polis, ni raffinés ou pliés à des lois du genre. Le caractère exagéré, drôle ou ouvertement exposé est un alter ego qui a été muselé et assourdi dans le quotidien de ces acteurs. Ces hommes et une minorité de femmes sont curieux de tester les limites et d’expérimenter la « persona » qui leur est opposée.
A l’intention de ceux qui n’ont pas fait l’expérience de ces shows, il faut savoir que dans un drag show, des commentaires sexuels sont souvent jetés à la cantonade et que les acteurs tendent à exagérer leur accoutrement et les contrastes jusqu’à l’extrême. Par exemple, un homme rabougri apparaitra dans une robe du soir scintillante, un soutien-gorge push-up, des talons aiguilles et outrageusement maquillé. Un type de haute taille, musclé, adoptera une allure féminine à la silhouette rebondie. Une belle et charmante fille s’affublera d’une barbe. Ces gens ont choisi de vivre une vie normale et solide le jour et de s’éclater le soir dans un rôle totalement opposé, généralement haut en couleurs et dragueur.
Par sympathie pour ce genre et par curiosité, j’ai moi-même essayé, il y a quelques années, un déguisement masculin, additionné d’une barbe et des poils de torse. Il n’était pas évident de déguiser ma structure potelée et il m’a fallu opter pour une tenue large et négligée qui me donnait l’apparence d’un homme pas très esthétique mais un homme convainquant tout de même, au point que je suis passée pratiquement inaperçue. Je m’attendais à m’assimiler confortablement au contexte ambiant mais à la fin je me suis trouvée trop laide.
Restons sur une note optimiste ; La compétition Drag RuPaul, un reality-show totalement drag, offre l’opportunité d’apprendre à connaitre le terrain, d’observer le travail ardu en amont et d’entendre les histoires qui se cachent derrière les personnages. Jusque-là, j’ai vu des hommes gays qui vivent comme des êtres d’apparence assez équilibrée et qui insistent sur le fait que le drag n’est que du spectacle per se et que seulement sur scène il se muent en femmes. Ils se donnent du mal pour acquérir l’apparence de formes féminines et perfectionner leurs talents, dont la couture, le maquillage, la coiffure et toute une richesse d’inventions pittoresques. C’est véritablement de l’art.
Ces gens sont des artistes. Au-delà du spectacle sur scène qui met en jeu les talents d’acteur, de la danse et de la chanson, ils se créent à eux-mêmes un autre moi, un alter ego, avec un nom de scène bien défini, le seul à être publié. Un des critères de base pour faire une drag-queen réussie à leurs yeux est le degré de féminité qu’ils parviennent à se composer, en estompant l’entrejambe masculin, en garnissant les cuisses et la poitrine et avec beaucoup de travail laborieux comme assimiler et pratiquer le langage corporel féminin, la démarche les mouvements des mains, l’intonation, le discours féminin. Un dialecte exclusif, appelé Ohchit est né et s’est développé dans la communauté gay. Il s’est développé en un langage réel qui n’est pas toujours facile à comprendre de l’extérieur. Il a même gagné à être l’objet de recherches au département de Langues à l’université de Haïfa. Je suppose que chaque pays possède son propre dialecte gay.
Finalement, en y réfléchissant bien, le travestissement de drag est la pointe du glacier d’un monde à part entière qui coexiste parallèlement au monde visible. Ce monde qui sort de l’armoire seulement en spectacle mais qui de fait occupe de nombreux artisans qui y mettent tout leur savoir-faire, ce monde qui est l’alter ego d’une communauté qui rêve et crée, invente et coud, écrit et produit des pièces de théâtre, acquiert une infinité d’objets, de perruques glamour, sexy et drôles. Plusieurs parmi ces artistes soignent leurs mains pour qu’elles restent douces, ongles manucurés et la plupart d’entre eux prennent soin de conserver un corps bien fuselé.
La nouveauté de ces dernières décennies dans le domaine est le phénomène des drag-queens qui ne cherchent pas à convaincre qu’elles/ils ne sont pas des femmes à 100%, qui montent sur scène avec un corps de femme et une barbe. Une percée dans cette thématique a été opérée par la chanteuse Conchita Wurst, suivie par de nombreuses autres drag-queens. De la sorte, les frontières s’étirent toujours plus loin et prouvent qu’en art tout est possible et que le déguisement peut cacher autant qu’il peut révéler.
Sur la photo, la Mère-Drag-Queen du nord, Zohara Platinum.