Etre un chat… en art
Un des sujets que j’ai approfondis durant mes études de maitrise en histoire de l’art est l’image du chat au XVIIe siècle dans la peinture hollandaise. La peinture à l’Age d’Or hollandais était réputée pour son abondance de symboles. Les caractères, les objets, les animaux y ont souvent un sens didactique ou des notions cachées dans le sous-texte. Parmi eux on trouve de très nombreuses incidences du chat dans des thématiques variées. Mon étude examinait une sélection de peintures dans lesquelles le chat apparait. Il s’agissait pour moi de comprendre les raisons de cette présence et sa contribution à la présentation du message dans le tableau.
Le chat est universel dans toutes les cultures. La civilisation égyptienne dès la Haute Antiquité en avait fait un totem/ déesse Bast à qui l’on vouait un culte. A la longue, il fut apprécié dans le monde comme animal domestique prédateur de nuisibles et par conséquent protecteur de la grange et de la basse-cour dans les villages et les villes, contre les serpents aussi et les rats diffuseurs de maladies. La modestie de sa taille et ses aptitudes ludiques lui gagnèrent l’affection et un statut dans le foyer. C’est ainsi que le chat a été intégré dans la culture occidentale, le folklore, la littérature, la religion et dans bien des fables. L’image du chat se décline pourtant en termes tantôt positifs, tantôt négatifs dans les civilisations, dans un contraste profond, sujet aux influences extrêmes des états d’esprit sociaux et religieux.
Dans la culture visuelle, le chat apparait dans les œuvres de plusieurs civilisations polythéistes antiques, dans un contexte religieux rituel. Plus tard, le chat émerge comme un motif ambivalent dans l’art chrétien, puis profane. Cette ambivalence par rapport au chat s’est maintenue dans la culture des Pays Bas, Hollande et Flandres. Les chats étaient communs dans les maisons et aimés mais aussi massacrés par superstition et pour des rituels douteux. Le chat fut associé à des croyances populaires, tantôt guérisseur, tantôt démoniaque, un compagnon estimable mais aussi l’archétype de passions proscrites et de mondes ténébreux.
Sa présence si répandue dans la vie des hommes fit entrer le chat dans le folklore, les paraboles, proverbes, et autres traditions folkloriques de la culture flamande. On le voit apparaitre au Moyen Age dans des textes ecclésiastiques de toutes sortes, souvent pour figurer des moines vicieux qui trompaient les fidèles innocents dépeints en souris.
De plus, le chat est une créature du monde à l’envers, une croyance populaire à la longue vie qu’on voyait encore jadis sur des journaux publics affichés aux centres des villages et aux portes de la ville. Proverbes et paraboles prenaient la forme d’illustrations montrant des types humains des classes supérieures, au comportement aberrant, qui se font gouverner par des animaux. Le concept du monde à l’envers est de figurer les vices humains d’une manière ludique et donner espoir à ceux qui vivaient dans la pauvreté et la souffrance. Dans le même temps, l’emblématique se développa au format d’ une illustration populaire en Europe au XVIe siècle, avec un message didactique accompagné d’une illustration et d’un court texte, un proverbe populaire ou un message concis terminé par une leçon de morale.
Pieter Bruegel l’Ancien a utilisé dans ses peintures des formats dont l’origine se trouve dans des illustrations du monde à l’envers. Il les représente sur des tableaux grand- format de la vie de village avec une grande quantité de personnages occupés à diverses activités, toutes liées aux fables et proverbes. Bruegel s’est inspiré des paraboles familières des gravures populaires et les a « implantés » dans les descriptions de village flamand, créant de la sorte une forme de réalisme, contrairement à l’imagerie des paraboles traditionnelles dénuées d’environnement défini. Bruegel dépeint aussi distinctement des figures de paysans, à l’opposé des figures aristocratiques des gravures initiales et décrit leurs activités quotidiennes de manière vivante et compréhensible au public sur les deux plans : descriptif et métaphorique.
Dans l’art des Pays Bas au XVIe siècle, les sujets profanes ne sont pas rares, comme des scènes de marché ou de cuisine. La nouveauté en art occidental était la représentation de tels sujets sur une peinture à l’huile de grand format, où des aliments et des ustensiles de cuisine trônent au centre de la composition. Le peintre qui est considéré comme un pionnier dans ce domaine est Pieter Aertsen. Un peu plus tard, au XVIIe siècle, un chat fait souvent son apparition dans la peinture hollandaise dans des thèmes variés, religieux et profanes. Dans ces tableaux, on peut reconnaitre des types de chat récurrents qui jouent un rôle dans une scène complexe.
C’est ainsi que dans le cadre de tableaux religieux, un chat apparait dans les descriptions de « la chute de l’homme » aux côtés d’Adam et Eve, parfois parmi d’autres animaux et quelquefois avec un singe. Dans d’autres œuvres, on le voit dans des tableaux de la vie de Marie et autres saints, comme dans des descriptions de la Sainte Famille. A l’opposé des images de sainteté, il apparait aussi dans des natures mortes, souvent dans des scènes de marché et de cuisine, au milieu d’une pléthore de nourriture, de fruits et légumes, poulets et poissons, généralement on le voit se faufiler parmi les vivres, dans des poses de vol de nourriture ou dans des batailles avec d’autres bêtes pour le butin.
Hormis les formats mentionnés, les chats sont visibles aussi dans les tableaux du genre flamand (scènes de la vie quotidienne), scènes de village, marché et cuisine. Plusieurs animaux y sont représentés et le plus souvent le chat y apparait dans des situations très différentes, passives ou actives. Il prédomine par sa fréquence dans des descriptions d’intérieurs et au dehors, vivant et interactif avec les humains. Dans ce cadre, le chat fait des apparitions diverses et variées : tableaux d’enfants, une joyeuse compagnie, une femme seule avec un chat and bien d’autres, sachant que le chat implique un message caché sous la surface banale en apparence.
Bien des générations plus tard, des tas de chats célèbres virent le jour, parmi eux le chat de Spiegelman dans son livre, lauréat du prix Pulitzer « Maus : histoire d’un survivant ». Le livre est un chef d’œuvre, un roman graphique dans lequel la souris est le personnage principal, mettant en scène les victimes de l’Holocauste, les survivants et les juifs en général. Le chat, quelle horreur, évoque les nazis dans le livre. Quelqu’un se souvient de ce que représente le chien dans le livre de Spiegelman ?
L’image du titre: Hendrik Goltzius, Les cinq sens : La vue, c. 1595. Taille de la gravure inconnue, localisation inconnue.