L’art à l’âge de l’IA
L’intelligence artificielle (IA) est une branche de la cybernétique qui produit un système informatique capable d’imiter l’intelligence humaine. L’intelligence artificielle est basée sur deux concepts : « artificiel » et « intelligence », signifiant « capacité synthétique de penser produite par l’homme ». C’est pourquoi, nous pouvons définir l’intelligence artificielle comme une technologie en mesure de créer des systèmes intelligents, capable de simuler l’intelligence humaine. Le système IA n’exige pas de préprogrammation ; il lui suffit d’utiliser des algorithmes aptes à faire fonctionner leur propre intelligence, comme des algorithmes à initiation automatique pour le renforcement de l’apprentissage ou l’apprentissage profond des réseaux de neurones artificiels. Par ailleurs, l’apprentissage automatique consiste à extraire le savoir à partir de données. L’apprentissage automatique peut être défini comme un sous-domaine de l’intelligence artificielle qui permet aux machines d’absorber des connaissances à partir de données ou d’expériences sans avoir été explicitement programmées pour. L’apprentissage automatique permet à un système informatique de faire des prédictions ou de prendre certaines décisions à l’aide de données historiques sans pour autant avoir été programmé pour ce faire. L’apprentissage automatique utilise une énorme quantité de données structurées ou partiellement structurées permettant à un spécimen d’apprentissage automatique de générer un rendement ou fournir des prédictions fondées sur ces données. L’apprentissage automatique fonctionne sur la base d’un algorithme d’apprentissage qui ne marche que dans des champs d’action spécifiques. Par exemple, un modèle d’apprentissage automatique pour la reconnaissance d’images de chiens fournira uniquement un rendement d’images de chiens ; s’il est chargé en nouvelles données, comme l’image d’un chat, le modèle ne répondra pas. L’apprentissage automatique est utilisé dans une variété de cas comme pour les systèmes de recommandation en ligne, pour des algorithmes de recherche sur Google, des filtres antispam. Des suggestions automatiques pour taguer des amis sur Facebook etc…
Tout au long de l’histoire de l’humanité, le progrès technologique a conduit à la ruine de certaines industries et au licenciement économique d’employés, tout en renforçant d’autres industries et d’autres employés et en augmentant la compétitivité dans l’économie. Les ouvriers de l’industrie de transformation ont déjà été largement affectés par les progrès de l’automation et de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, c’est le secteur de la création qui est devenu la cible de l’intelligence artificielle : les artistes visuels, les concepteurs, les illustrateurs et les créateurs en général observent avec effroi et appréhension l’arrivée de générateurs d’intelligence artificielle de « texte à l’image ». Cette nouvelle technologie suscite évidemment un débat autour du rôle de l’IA dans le domaine de l’art visuel et des conséquences de ce type d’appropriation. La vitesse et l’efficacité de l’IA sont la cause de frayeurs chez certains artistes alors que d’autres l’adoptent comme un nouvel outil passionnant.
L’intelligence artificielle est-elle appelée à remplacer au bout du compte les artistes humains ? Qui détient les droits d’auteurs d’œuvres d’art créées par IA ? L’avenir est incertain et personne ne peut prédire avec certitude les effets à long terme de l’intelligence artificielle sur l’art. Une chose est claire : on a laissé sortir de la bouteille le génie de l’intelligence artificielle et il n’y rentrera plus. Les soucis vont commencer s’il s’avère que la bouteille est plutôt une boite de Pandore... Les générateurs IA de texte-à-image sont en progrès constant et les compagnies ne cessent de faire évoluer le niveau de l’art visuel vers la prochaine étape. Meta a rendu public des exemples de développement de texte-à-vidéo IA capables de produire une vidéo à partir du texte d’un usager. Google a dévoilé DreamFusion, un logiciel d’intelligence artificielle texte-à-3D basé sur la technologie des générateurs de texte-à-image pour créer des modèles en 3D.
Si l’intelligence artificielle est utilisée pour créer des images, le produit fini peut-il vraiment être considéré comme de l’art ? A l’aide d’un outil comme DALL-E par exemple (un générateur d’art « texte-à-image » actionné par un algorithme formé pour produire les visuels désirés) pour créer une image, il suffit de la décrire dans un texte-et-instructions et le logiciel va fabriquer une image qui correspond aux instructions données. Un exemple d’instruction type : illustration numérique d’une poire coiffée d’un chapeau de cowboy, 4k, détaillée, tendance.
Afin de créer de l’art par intelligence artificielle, il faudra commencer par concevoir un algorithme capable d’assimiler des règles esthétiques spécifiques en analysant des milliers d’images de différentes sources. En premier lieu, une collection d’images est sélectionnée pour alimenter l’algorithme – une étape qu’on appellera ‘avant-projet’. L’algorithme cherchera à créer de nouvelles images qui correspondront à cette vision d’esthétique qu’il a assimilée. La plupart des œuvres d’art produites par intelligence artificielle ces dernières années ont utilisé un type d’algorithme appelé réseaux antagonistes génératifs (GAN). Ces algorithmes sont appelés ‘antagonistes’ du fait qu’ils possèdent deux aspects : l’un génère des images aléatoires et l’autre apprend à juger ces images pour voir comment elles correspondent au mieux au résultat désiré. Par exemple, des portraits peints depuis ces 500 dernières années peuvent alimenter un algorithme IA lequel tentera d’imiter ces données et de produire sa propre variété d’images. L’opérateur de l’algorithme doit passer au crible cette production d’images et sélectionner celles qu’il voudra utiliser – une sorte de chasse au trésor. Le processus d’information entraine l’intelligence artificielle à créer des liaisons entre la structure visuelle, la composition et toute donnée visuelle discernable dans l’image et également à tenir compte de la manière dont il est connecté au texte d’instructions. Tout au long de ce processus, l’opérateur de l’algorithme est occupé à collecter et conserver, voire à procéder à des ajustements de l’algorithme en fonction des besoins pour affiner les résultats désirés.
La dimension éthique de générateurs de texte-à-image IA est sujette à débats. Une des raisons essentielles d’inquiétude réside dans le fait que les outils IA risquent d’être entrainés à utiliser les travaux d’artistes, réels, bien vivants, permettant ainsi à n’importe qui d’utiliser ces outils pour créer de nouvelles œuvres dans le style des artistes originaux. Rappelons que les images IA imitent les styles et techniques que des artistes ont mis des années à perfectionner. Une œuvre d’art bâtie sur la base ou grâce au travail d’art d’autres personnes, qu’elle soit créée par IA ou autrement, doit dédommager les créateurs dont le travail a été utilisé pour entrainer l’IA. Il convient d’obtenir la permission des créateurs et de leur rendre la reconnaissance qu’ils méritent. De plus, les créateurs doivent avoir la possibilité de décider si leurs créations peuvent être utilisées dans l’apprentissage d’un outil IA.
Finalement, l’art IA est « l’art » de l’échantillonnage. Comme les DJ et certains rappeurs aussi, les programmes IA échantillonnent des travaux d’artistes et les hybrident dans ce qui parait comme une création nouvelle. L’intelligence artificielle n’est autre qu’une action mécanique, sans filtres, en contraste frappant avec l’inspiration qui a toujours été la marque de l’art, accompagnée de l’apprentissage, de l’intériorisation d’idées, y compris leur évolution, l’interprétation, la réflexion et l’adaptation. Les DJ font souvent des collaborations fructueuses avec les créateurs originaux des musiques qu’ils échantillonnent. Ils apportent parfois même de la valeur ajoutée en créant un cadre pour l’échantillon sous forme d’une interprétation musicale, une révision, une réponse émotionnelle ou une critique. En comparaison, l’échantillonnage effectué par l’art IA est du plus bas niveau imaginable. L’art IA est, sous bien des rapports, similaire à l’enfant de bois qui a tout fait pour ressembler à un enfant de chair, en imitant toujours les autres enfants. Mais en dépit de ses efforts désespérés, il restera à jamais un pantin.
Tandis que certains aspects du processus créatif peuvent être remplis par l’IA, la partie critique d’une décision créatrice ne pourra jamais être remplacée par la technologie IA. La créativité artistique comporte aussi la conceptualisation d’un projet de création, les matériaux nécessaires et le message à transmettre à l’audience. Les modèles IA ne sont pas capables d’effectuer ce processus décisionnaire à eux seuls et créer de nouveaux styles ou des mouvements artistiques. Il faut bien comprendre qu’il y a un grand absent dans le processus artistique de la fabrication d’art par des outils IA : l’algorithme peut créer des images captivantes certes mais il existe dans un espace créatif stérile dont le contexte social est totalement absent. Au contraire, les artistes de chair et d’os tirent leur inspiration de personnes, de lieux et de situations diverses, banales ou émotionnelles et créent de l’art pour s’exprimer, faire entendre leurs opinions, raconter des histoires et comprendre le monde. Le fait que des machines soient capables de reproduire de l’art, quasiment de manière autonome, ne signifie pas que la machine peut remplacer l’artiste. Cela signifie que les artistes auront potentiellement un nouvel outil à leur disposition : les générateurs d’art IA ne remplaceront pas l’art humain mais serviront de complément au travail de l’artiste, ce qui contribuera à améliorer la qualité tout en réduisant le temps de travail. Par exemple, au début d’un projet d’illustration, c’est toujours une bonne idée de créer des ébauches à présenter au client avant d’atteindre le résultat final. Un outil basé sur l’intelligence artificielle pourrait s’avérer un excellent auxiliaire pour générer ces esquisses : au lieu de passer des heures de remue-méninges à inventer des esquisses différentes et des idées, un générateur IA ferait l’affaire pour forger les ébauches rudimentaires à présenter au client. La versatilité de l’IA permet d’essayer rapidement une plus grande variété de styles d’esquisses pour l’illustration sans avoir à réinventer l’œuvre à partir de zéro à chaque fois.
Dans ce contexte, l’art généré par l’intelligence artificielle est comparable à la photographie. Quand la photographie fut inventée au début du XIXe siècle, elle n’était pas forcément considérée comme un art – après tout, c’est une machine qui faisait le plus gros du travail. En dépit des objections, moins d’un siècle plus tard la photographie était un genre artistique bien établi et aujourd’hui, la photographie a ses musées et des photographies se vendent à des prix exorbitants dans des ventes aux enchères. L’art fabriqué par l’intelligence artificielle va probablement suivre le même chemin. Il en va de même pour les échecs où l’intelligence artificielle s’est développée au point que l’intelligence humaine n’est plus à même de rivaliser avec. Même les meilleurs joueurs d’échecs dans le monde le cèdent à l’IA ; ce qui n’a pas empêché les joueurs d’échecs de continuer à jouer et même de s’inspirer des stratégies de l’IA pour améliorer leur jeu. Il n’est pas envisageable que les êtres humains cessent de créer de l’art juste du fait qu’un instrument technologique est capable de fabriquer de l’art à l’aide de l’intelligence artificielle. Les méthodes de travail des artistes contemporains seront sans doute affectées par l’intelligence artificielle. Le secteur créatif pourrait incorporer des formes d’intelligence artificielle dans les procédés mais l’art créé par main d’homme ne va pas disparaitre. L’homme continuera à se servir de la technologie et de l’IA dans la création artistique ; il y aura des synergies et de nouveaux développements car la technologie ne marche pas à reculons, mais jamais l’IA ne remplacera complètement l’art créé par l’humain.
La création artistique au moyen de logiciels d’intelligence artificielle constitue en fait une conversion de l’esprit à la matière, de manière plus directe et immédiate que jamais auparavant. Elle libère le créateur du recours à de nombreuses ressources indispensables jusque-là : temps, matériaux, savoir, expérience, argent, charge émotionnelle, souvenirs, état psychologique et surement tout autres ressources imaginables du moment où l’on considère la totalité des composantes dans la créativité artistique. En fait, cette nouvelle technologie invente une vie d’artiste qui ne crée pas – il suffit désormais d’être un penseur d’art. Les idées sont à traduire sans la médiation de l’action. Je me pose la question en tant que consommatrice d’art sous toutes sortes de formes de savoir si finalement cette médiation est sans valeur. N’y a-t-il donc plus de place pour le filtrage dans la création artistique, dans la consommation de l’art ? Des générations de pensée philosophique, d’histoire de l’art, de recherche littéraire sont anéanties du moment que la base de ces recherches est l’esprit créatif humain confronté à toutes les ressources mentionnées plus haut.
Prenons le cas d’un livre qui relate une expérience émotionnelle orageuse de la vie personnelle de l’auteur, où il écrit avec son âme, où il met toute son expérience, ses opinions. Si c’est une intelligence artificielle qui écrit ce livre, le contenu aura-t-il la même teneur, la même valeur ? pour le lecteur ? pour le chercheur ? Des chercheurs dans leurs domaines de recherches affirment qu’il n’est pas vraiment possible de comprendre une œuvre sans connaitre son créateur, la période dans laquelle il a vécu et créé, ses racines, sa biographie, ses opinions, son état d’esprit, parfois même ses maladies infantiles. Tous ces éléments forment les ressources du créateur et se reflètent d’une manière ou d’une autre dans son ouvrage, parfois même à son insu. Dans une création IA, ils sont absents. N’est-ce pas là la preuve d’une création synthétique, sans racines ni âme ? A mon sens, il s’agit d’une manipulation de la psyché du consommateur dans le but de susciter une émotion en lui par le biais d’une série de boutons qui ont fait la preuve de leur efficacité chirurgicale. A quoi bon procéder à une investigation sur une telle besogne ? personne ne se tient derrière elle, pas d’histoire, pas d’émotion authentique. Il est vrai que ces éléments peuvent ne pas intéresser le consommateur moyen d’art. Mais il n’en reste pas moins que nous sommes témoins de la montée d’une ligne de production de produits industrialisés, dénués de toute valeur nutritionnelle, hormis celle uniquement de trompe-l’œil manipulateur ; même si l’objet obtenu est extrêmement agréable, il ne comporte pas plus de valeur pour un être humain qu’un paquet de margarine. Ça glisse bien certes mais voudrait-on l’avaler pour autant ?
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