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L’art en temps de covid

L’art en temps de covid

En ces jours de pandémie et d’anxiété autour des ravages du coronavirus, des images de périodes historiques plus ou moins lointaines s’élèvent dans mon esprit, dans lesquelles des épidémies de grande amplitude faisaient irruption. Le village global de 2020 n’est certes pas semblable à l’univers médiéval, ni même à celui qui existait dans la majeure partie du XXe siècle. Il n’est pas évident que ce soit d’ailleurs un avantage. Les épidémies dans le lointain passé étaient limitées géographiquement du fait d’une mobilité restreinte, qui est totalement caduque de nos jours au XXIe siècle. L’expansion prenait fin aux confins du continent, généralement entre deux mers, deux rivières ou des déserts. Par contre, l’impuissance était plus grande, l’ignorance et le manque d’hygiène créaient des milieux idéals pour l’incubation et la prolifération de toute une variété de bactéries et de virus. Les réservoirs communaux d’eau des villages et des villes étaient facilement contaminés par manque de contrôle et par ignorance. On ne savait pas à quel point l’eau pouvait charrier des épidémies.

Dans un passé, pas si lointain, l’eau à usage public était souvent polluée du fait que les sources d’eau et les lieux de ravitaillement se trouvaient à proximité d’égouts à ciel ouvert et de lieux de drainage des eaux usées. On en trouve un exemple dans le livre « L’amour aux temps du Choléra » dans lequel Gabriel Garcia Marquez narre un récit qui s’étend sur plusieurs décennies en Amérique Latine, à la jonction des XIXe et XXe siècles. Parmi les superbes descriptions exotiques, une ancienne ville magnifique souffre d’une négligence criminelle de la part des autorités sanitaires. Un grand marché dans la ville, situé au bord de la mer des Caraïbes déborde d’une grande variété de denrées de toutes sortes. L’auteur poursuit la description dans une mixture nauséeuse d’ordures, de nourriture pourrie et d’eaux stagnantes, de cadavres d’animaux, auxquels s’ajouteront par la suite des cadavres humains flottant sans arrêt parmi les bateaux de touristes, dans l’apparence d’une description routinière d’une grande ville vibrante et haute en couleur.

De telles images n’étaient pas rares dans le monde au moins jusqu’à la moitie du XXe siècle. Dans les Caraïbes, la chaleur ajoute au haut potentiel de pourriture, fermentation et propagation de maladies, auquel s’ajoutent les guerres dans le roman en question. Le choléra n’est qu’un symptôme du mal récurrent qui terrasse des populations entières. En fait, ce sont surtout les guerres qui, à travers l’histoire, ont multiplié les conditions favorables au déclenchement d’épidémies. Des corps entassés sans que personne ne s’occupe de les enterrer ; des famines et des conditions de vie aléatoires, sans eau courante, sans sanitaires ni même des moyens médicaux élémentaires, des médicaments et des désinfectants.

Artist unknown, Omne Bonum, detail of a historiated initial 'C'(lericus): Clerics with leprosy receiving instruction from a bishop [1] (See also THE MEDIEVAL GLOBE, ed. MONICA H. GREEN, vol 1, 2014, p.309. Author: Palmer, James le Production: England (London), 1360-1375, London: The British Library; Record Number: c6541-07; Shelfmark: Royal 6 E. VI; Page Folio Number: f.301raDe terribles cas d’épidémie se retrouvent évidemment dans l’art visuel de diverses manières tout au long de l’histoire. Les artistes ont retracé des scènes d’épidémie en fonction de leur temps et de leur perception de la calamité, soumis à des influences politiques, religieuses et sociales. On en voit un exemple dans une enluminure du XIVe siècle tirée d’une encyclopédie, riche en couleurs selon l’usage des manuscrits de qualité. L’image montre l’initiale C majuscule (la première lettre d’une page manuscrite, ici le C de Clercs) dans un carré peint entouré d’un texte. Elle décrit un espace indéfini dans un cadre doré. A droite, l’évêque instruisant d’un geste de sa main droite des moines sur sa gauche. On reconnait l’évêque à sa mitre, son habit et l’autel en face de lui. On reconnait les moines à leur habit et leur tonsure. Les visages et les cranes des moines sont couverts de lèpre, contrairement à l’évêque. L’enluminure montre que les moines reçoivent des instructions de l’évêque, peut-être sur la manière de se soigner et son geste peut également signaler une bénédiction. L’épidémie est décrite ici en style médiéval naïf avec ses pointillés orange vif. On ne saurait dire, sans connaitre le texte, d’où provient cette épidémie, cependant on sait qu’au Moyen Age, on l’attribuait parfois aux péchés du malade.

Artist unknown, St. Francis and others Treating Victims of Leprosy, from a manuscript of La Franceschina, (c.1474), a chronicle of the Order by Franciscan Jacopo Oddi of Perugia, circa 1474, Perugia: Biblioteca AugustaL’art se penche rarement sur des moines malades. Dans cet exemple, une enluminure d’un manuscrit du XVe siècle montre St François et des moines franciscains se dévouant à soigner des malades de la peste noire ou victimes de la lèpre. L’enluminure contient plusieurs détails malaisés à déchiffrer. Le bâtiment ressemble à une infirmerie de monastère avec ses ouvertures en arcs. Le moine avec l’auréole qui tient une bassine n’est autre que St François lui-même. Des nonnes encapuchonnées soignent les blessures des malades selon les méthodes connues de l’époque. Les malades assis ou allongés sont visiblement marqués de vérole, les visages hébétés, en contraste des visages nobles du saint et des nonnes. La vision stéréotypée de la maladie comme châtiment divin à l’opposé de la pureté mentale qui justifie celle du corps pourrait se présenter à notre esprit mais nous savons que ce type d’équation s’exerce rarement et seulement dans des cas spécifiques, connus et reconnus par le public. Dans ce tableau, il n’y a pas de scène d’horreurs avec des morts mais l’accent est plutôt mis sur la compassion et le dévouement des religieux qui ne répugnent pas à toucher des malades et les soigner avec sensibilité. Les lits en bois sont également un signe de bons traitements quand il n’était pas donné à tout le monde de posséder un toit et un lit dans le monde féodal.

Josse Lieferinxe, St. Sebastian kneels before God while a Grave Attendant is Stricken with the Plague as He is Burying Someone who Died of the Disease, 15Th century, Mount Vernon-Belvedere, Baltimore, Maryland: Walters Art MuseumOn en trouve un autre exemple édifiant dans une œuvre du XVe siècle, de l’artiste français Josse Lieferinxe. Le tableau décrit l’épidémie de peste qui s’est abattue en Italie au VIIe siècle et l’inhumation des nombreux morts. Une scène parallèle se situe dans l’empyrée, au-dessus du ciel de la cité, où Dieu parait, bénissant St Sébastien, nu et percé de toutes les flèches de son martyre, à l’instar de son image emblématique. Les fidèles invoquaient sa protection contre la peste et le saint, agenouillé devant Dieu le supplie en faveur des citoyens. Par ailleurs, dans le ciel, on assiste au conflit entre un ange blanc sur la gauche et une créature démoniaque aérienne qui tient une arme et personnifie la peste. L’épidémie est décrite ici sur trois niveaux visuels qui correspondent à trois situations : Sur terre, des humains s’activent autour de la peste et ses conséquences, dans les cieux de la cité, la bataille ente le Bien et le Mal, ange et démon et dans la sphère supérieure, le saint médiateur entre les hommes et Dieu. Il s’agit d’une œuvre religieuse destinée a éduquer les fidèles et recommander la figure du saint à invoquer en période de peste.

Artist unknown, Doctor Schnabel [i.e Dr. Beak], a plague doctor in seventeenth-century Rome, with a satirical macaronic poem (‘Vos Creditis, als eine Fabel, / quod scribitur vom Doctor Schnabel’) in octosyllabic rhyming couplets, Copper engraving, after 1656Dans cette gravure du XVIIe siècle, on se trouve en face d’une approche beaucoup plus matérielle. L’épidémie est symbolisée par l’image d’un médecin vêtu de la tête aux pieds du revêtement anti-peste, qui inclut une chape de cuir cirée, des gants, une coiffe, un masque et des lunettes. Il porte également un bâton pour éloigner la foule. Le masque en forme de bec d’oiseau renfermait sans doute des substances odorantes. Le masque était censé protéger contre l’air contaminé par la décomposition selon l’antique théorie des miasmes, qui soutient que les épidémies proviennent de l’air contaminé par de la matière organique pourrie. Le dessin de cette robe est attribué à Charles de Lorme, le médecin en chef des rois de France et de la maison de Médicis au milieu du XVIe* siècle. Il se fonde sur les théories alchimiques de Paracelse (le célèbre alchimiste Paracelse 1480-1541) et d’autres médecins de son temps. De Lorme manufacturait des préparations médicinales basées sur les théories alchimiques qui lui gagnèrent la réputation d’un médecin capable de prolonger la vie de ses patients. Lui-même vécut jusqu’à 94 ans. Il ne faut donc pas sous-estimer le bizarre costume anti-peste qu’il a conçu [et qui ne manquait pas d’être moqué déjà en son temps.

Jacques Callot, Portrait of the Dr. Charles Delorme, 1630, etchingLa personnalité de de Lorme est particulièrement intéressante dans le contexte de l’art médical et historique. Son portrait est gravé dans une lithographie imprimée de 1630 par Jacques Callot. Le portrait est placé au centre d’un mandala propre au monde de l’alchimie, à partir de cercles concentriques contenant de nombreux éléments symboliques. Le portrait du médecin se trouve au centre d’une ellipse à l’intérieur d’une étoile très semblable à une étoile de David. Les angles sont remplis de mots latins et de lettres grecques, comme il sied à la qualité d’un médecin lettré. Autour de l’étoile un ouroboros enroulé se mord la queue (image capitale de l’univers alchimique qui renvoie au caractère cyclique du processus alchimique et sa capacite prétendue de ressusciter les morts). Il incarne diverses conceptions d’évolutions et comporte une variété de significations symboliques. Sous le cercle, à gauche on aperçoit un chien qui aboie et à droite un dragon et parmi eux un nombre de signes et de lettres qui sans doute renvoient à des thématiques éminentes dans le style des manuscrits alchimiques qui étaient au sommet de leur influence à cette époque.

This painting is a variation of a work by Giuseppe Maria Crespi. It was painted in the artist's workshop, perhaps by one of Crespi's three sons, The Blessed Bernardo Tolomeo's Intercession for the End of the Plague in Siena, c. 1735, Oil on canvas, 78 x 97 cm, Vienna: Akademie der bildenden KünsteL’alchimie englobait à elle seule tout un monde pseudo-scientifique de recherche et de médecine, qui parfois aidait à la guérison mais plus souvent avait pour issue la souffrance et la mort. Mais bien avant la vague d’engouement pour l’alchimie dans la sphère de la science et même une fois l’engouement passé, dès le début du XVIIIe siècle, le plus grand nombre préférait généralement regarder comme des thérapeutes des ecclésiastiques à la sainteté confirmée. C’est ainsi que dans ce tableau du XVIIIe siècle, on voit St Bernard Tolomei intercéder auprès de l’incarnation de l’épidémie en faveur du peuple de Sienne. Le saint porte l’habit blanc des moines bénédictins de l’ordre olivetain. Devant lui se dresse un squelette à demi vêtu et ricanant, l’incarnation de la peste. Un ange plane au-dessus du saint. St Bernard Tolomei, né à la fin du XIIIe siècle, succomba à l’épidémie de peste qui faisait rage dans la cité de Sienne. Pénétré de son rôle de prêtre, il avait quitté sa solitude sur le mont Oliveto pour aller prendre soin des malades avec ses moines. En aout 1348, il succomba également, victime de l’épidémie. 82 autres moines qui s’étaient consacrés à assister les malades périrent dans cette vague de la peste. L’Eglise catholique béatifia Bernard en 1644 [il fut canonisé en 2009 par le pape Benoit XVI]. Son hagiographie est d’ailleurs axée sur son rôle de saint de l’épidémie. Ce tableau est remarquable par sa simplicité. Sur le fond sombre de la cité, les personnages se détachent clairement, certains sont morts, d’autres portent des malades, les morts s’entassent les uns sur les autres. Un homme au fond à droite est agenouillé parmi les corps et se couvre le visage, pointant le doigt vers le squelette ricanant. L’image choquante d’un petit enfant gisant sur le sol au centre du tableau exprime toute la tragédie. Les moines en blanc et un ange resplendissant au-dessus d’eux évoquent la lutte de la lumière contre la noirceur incarnée par la figure hideuse de la mort. On reconnait l’épidémie sous la forme d’un squelette depuis la célèbre danse macabre, un motif récurrent dans un grand nombre de peintures, où l’on voit des squelettes riant et dansant, menés par la Mort victorieuse. Le personnage de la peste tient une lanterne, à l’intérieur de laquelle une bougie est allumée. La bougie est l’image classique dans l’art de la durée de vie limitée de l’être humain. Là, c’est la peste qui tient la bougie et donc contrôle et gouverne la vie de l’homme. Dans son autre main, un extincteur de bougie. La description de l’épidémie de peste dans ce tableau brosse une horreur monstrueuse à l’aide d’un symbolisme simple, qui complète la biographie héroïque de ce saint moine.

Antoine-Jean Gros, Bonaparte Visits the Plague Stricken in Jaffa,1804, Oil on canvas, 532 × 720 cm, Paris: LouvreLe tableau d’Antoine-Jean Gros, au XIXe siècle, nous offre une description plus moderne de l’épidémie de peste, mais pas moins héroïque. On y voit Napoléon visitant à Jaffa ses soldats malades de la peste. La visite du général a lieu dans la cour d’une mosquée de Jaffa, qui sert d’hôpital militaire. On s’accorde à dater le fait en mars 1799, lors de l’épidémie qui éclata au cours des guerres de Napoléon contre les forces ottomanes. Malgré l’avis de son médecin qui tente de l’en empêcher, Bonaparte touche à main nue les lésions d’un malade de la peste. Sur la gauche, deux arabes donnent du pain aux malades. A droite, un soldat aveugle tente de toucher le général. Sur le devant de la scène, dans l’ombre, des soldats épuisés sont en train de mourir. Bonaparte incarne ici l’héroïsme de la guerre. Il est présenté en parallèle à Jésus, guérissant les malades tandis qu’il se tient dans une sorte de halo de lumière et que sa main est tendue dans un geste quasiment sacré. En contraste avec le démon volant ou le squelette ricanant des tableaux précédents, la peste est représentée ici de manière réaliste, dans ses effets et ses conséquences sur les soldats. Mais par-delà la performance réaliste de l’œuvre, le style orientaliste du tableau et la vision de la magie orientale dans l’architecture, les personnages, le costume, il sert aussi à glorifier le dirigeant à qui sont attribués dans le tableau des propriétés divines.

Lourens Alma Tadema, The Death of the Pharaoh’s Firstborn Son, 1872, oil on canvas, 77 × 124.5 cm, Amsterdam: RijksmuseumIl nous est donné ici d’avoir connaissance d’une épidémie d’un ordre tout à fait différent, lié à une thématique biblique rapportée par de nombreuses œuvres d’art au cours de l’histoire. Il s’agit de la mort des premiers nés. Dans les œuvres chrétiennes c’est la dernière des dix plaies d’Egypte et dans la légende de la Pâque juive, les châtiments d’Egypte. On en trouve de nombreux exemples dans différents domaines comme dans la peinture romantique-orientaliste de ce tableau du XIXe siècle, qui nous offre une description à la fois touchante et tragique du pharaon, le père assis tenant son fils sur les genoux, l’enfant gisant sans vie. La mère enlace son fils et pleure sur son corps. Nous avons là des éléments très réalistes dans l’expression de l’émotion et une image impitoyable des conséquences de l’épidémie. Tout cela dans le cadre descriptif du palais, de ses richesses et ses serviteurs. Le souverain est assis très droit sur son trône, il porte la double couronne des pharaons, le visage glacé, à l’exception de fines nuances très convaincantes d’un œil larmoyant et de la tension du muscle facial, dessinée subtilement mais avec grand réalisme sur les joues, le nez, les lèvres et les sourcils. En bas à droite, on voit des hommes vêtus de blanc, sans doute des prêtres, en prière et comme une forme de bénédiction, réunis dans la tragédie de la famille du pharaon, le roi-dieu. Derrière le trône du pharaon, une scène vibrante à plusieurs personnages, des hommes et des garçons qui semblent observer un rituel avec de la musique et des luminaires. Un homme à barbe, vêtu d’une sorte de chape et d’un voile apparait en haut à droite dans l’obscurité, s’avançant comme pour arrêter le rituel dont l’épidémie a eu raison. Un autre à ses côtés. Ce sont probablement Moïse et Aaron du récit biblique. Ce tableau s’attache à lier l’épidémie à la vision tragique d’une famille endeuillée, noyée dans l’émotion.

Pour terminer, à partir de l’ examen d’une sélection d’œuvres occidentales qui décrivent des épidémies, on peut se rendre compte combien la description de l’épidémie varie d’une époque à une autre, par le style, la perception, l’emphase. Depuis les descriptions naïves de textes anciens qui peignent l’épidémie par des points sur la peau, puis la louange de saints qui se sacrifient pour leurs frères humains pendant l’épidémie, le motif du squelette ricanant et l’image du médecin porteur de son masque à bec, des images extrêmement populaires dans le folklore terrorisant les multitudes. Les descriptions d’épidémies évoluent selon le Zeitgeist, comme dans la description héroïque de Napoléon identifié à quelque saint. Finalement un récit d’épidémie biblique qui ne sanctifie personne mais montre le contraire de ce qui est attendu d’un roi égyptien, considéré lui-même comme un dieu, montré dans l’intimité d’une scène de deuil.

Nous nous trouvons dans un moment historique qui va forcément laisser des traces sur le monde culturel et dans l’art. Comment la pandémie actuelle sera-t-elle racontée et décrite ? Qu’est-ce qui en restera et de quoi seront faits les souvenirs ? Que pensent les religieux du coronavirus de par le monde ? Plus que tout autre chose, l’épidémie actuelle semble consolider la crise économique. Le tourisme est sans doute le premier à en payer le prix. L’image conservée de cette crise sera-t-elle un visage masqué ? ou un aéroport paralysé ? un hôtel à l’abandon avec une piscine vide ? L’avenir dira quel genre d’art les jours de covid vont générer.

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