Le Laid, c’est le nouveau beau / de la mode et de l’art
Au commencement il y avait l’Art. L’art, qui a pris sa source dans le savoir-faire de l’artisanat, a connu bien des révolutions et nombre de semblances aux cours des âges et des civilisations. L’art a été avant toute chose intimement lié aux rituels religieux, il a ensuite été au service de gouvernants, un moyen de créer des objets et des bâtiments résidentiels, des services publics, des services funéraires. Il a aussi servi à glorifier, à la publicité, la propagande et également la décoration.
Au tournant du XXe siècle, l’art a prit un tour beaucoup plus conceptuel ; il charriait des idées philosophiques, parfois subversives. L’art reflète l’esprit de l’espace-temps. C’est un outil d’expression et il modifie ses valeurs. L’art s’est éloigné des valeurs esthétiques depuis des décennies. Depuis l’urinoir de Duchamp, l’art et l’esthétique semblent être devenus des valeurs antinomiques. On dirait que l’art se niche partout aujourd’hui et plus que jamais indifférent à l’idée de classe, race ou gout. En bien des lieux, l’esthétique n’est pas acceptable en art, car perçue comme de la décoration et que la décoration n’est pas de l’art. La décoration peut être kitsch, une imitation rapide et bon marché du réel sublime.
A partir de là, au moins s’agissant de la dernière décennie, j’ai reconnu une opposition au système de classe qui distingue entre l’art et le kitsch. Cette résistance s’accroit dans tous les espaces, depuis l’art populaire offrant des normes esthétiques classiques, comme des belles filles, des couleurs glamour inspirées du monde de la mode, jusque des imprimés bon marché oubliés dans des greniers poussiéreux, remis à l’honneur sur des murs bien en vue et des places publiques. Les fleurs en plastique retrouvent aussi un coup de jeune et la Chine bombarde le monde avec des imprimés, des miniatures mignonnes jusqu’à l’écœurement et des objets colorés de manière infantile. Des articles et leurs dérivés réservés aux enfants accaparent désormais tout le terrain, des licornes, des arcs et des cœurs, des étoiles et des princesses de chez Disney. Ces images sirupeuses pour faire la promotion de grandes surfaces et autres grandes chaines cyniques, on les voit maintenant tatouées sur les corps des plus baraqués. Que diable se passe-t-il?
A mon sens, c’est Instagram qui a emmêlé les pinceaux et les niveaux. En plus d’un réseau gigantesque de sites d’achats en ligne qui permettent à tout un chacun de faire de l’import à titre personnel, YouTube est devenu un promoteur de ventes vorace. Les influenceurs du web propagent leur doctrine narcissiste et mélangent le haut et le bas. Les aristocrates, les top modèles, les magnats et les écoliers dictent le bon gout et de fait l’air du temps.
Sur Instagram et YouTube je contemple des artistes, des créateurs de tous genres, en même temps que des Drag Queens, de la chirurgie plastique et des images de chats du monde entier. Je suis également des bloggeurs de mode, laquelle est un domaine basé sur le design et les beaux-arts. Le melting-pot culturel sur le net a mixé les arts et le design depuis plusieurs années ou --devrais-je plutôt dire –a fusionné. Il y a en effet quelques fusionnements spectaculaires sans aucun doute. Le truc avec la mode, c’est qu’on n’a pas besoin d’avoir du talent pour exprimer des idées. La tendance vintage, le recyclage et les articles d’occasion influencent aussi la mode à réutiliser les matériaux et les dessins mais hélas pas autrement que les collections entièrement nouvelles qui recyclent les modèles, les idées et les couleurs.
Plusieurs belles filles se sont déjà fait photographier avec des vêtements de grand-mère. Marx Jacobs est un des plus proéminents designers qui a poussé ces mixages à l’extrême sur le podium des défilés, entre des mannequins aux mesures idéales et d’étranges et anachroniques apparitions. Ensuite, des personnes imparfaites accèdent également a la piste, y compris des gros, des vieux, des infirmes, bancals en tous genres – tous aussi endommagés qu’on puisse humainement l’être.
Une des tendances qui ont inondé les rues est de voir des beautés impeccables porter de vieux vêtements, usés, en tous cas pas flatteurs, vieux de quelques décennies ou carrément des vêtements mémère. L’idée, à mon avis, est de montrer que la fille est si superbe que rien ne peut estomper sa radiance ardente, pas même un vieux pull laid avec les lunettes de mamie et les jeans de maman. Cette tendance sophistiquée a pris tant d’ampleur qu’elle influence et inspire des marques contemporaines et de jeunes designers à créer des articles complètement nouveaux en ignorant totalement l’écologie, la conservation et les valeurs inhérentes du recyclage qui sont pourtant à la base de cette tendance.
La qualité réellement importante à la base de cette tendance retro/vintage est de mettre en relief l’industrie de la mode comme la seconde source de pollution dans le monde (après l’industrie de l’exploitation animale) et en même temps c’est une exploitation immense, qui entretient des ateliers de misère, qui emploie des enfants et d’autres populations vulnérables de par le monde, dans des conditions d’esclavage. Acheter des articles de seconde main aide à réduire les dommages de l’industrie de la mode mais cette industrie n’a pas perdu de vue la croissante dérive du recyclage comme elle a bien pris note de l’engouement nostalgique pour les styles en voie d’extinction. L’industrie au regard perçant n’a pas perdu de temps et a commencé à s’auto-imiter dans son ancien self, en recyclant de vieilles toilettes sans gloire mais avec des matériaux nouveaux, moins couteux mais bien plus nuisibles que dans le passé, plus polluants et dépourvus de durabilité, polluant les sols et les eaux du globe et exploitant massivement la masse salariale la plus nécessiteuse.
Des victimes de la mode se repaissent de selfies, font de la publicité sur divers réseaux sociaux et diffusent cette horreur au service de l’industrie manipulatrice de la mode. Par-delà les répercussions dramatiques environnementales et sociales, l’internet est maintenant rempli de pseudo esthétique, kitsch et de mauvais goût qui se présente comme les nouveaux canons de la beauté.
En conclusion, sur la base d’observations historiques, sociales et environnementales, il n’y a pas de doute, en 2020 au moins, le Laid est le nouveau beau.