Blog d'art - Histoires de portraits et opinions

On peut appeler cela de l’appropriation culturelle

On peut appeler cela de l’appropriation culturelle

Ces dernières semaines, un débat médiatique a refait surface autour de la question de l’appel à des artistes à participer à des expositions. L’artiste Zeev Engelmeir a publié un post de protestation véhémente contre le musée de l’héritage des cours de justice qui a invité des dessinateurs à illustrer gratuitement une exposition à la mémoire de Janusz Korczak1. Un créateur et publiciste parvient souvent à soulever un vaste intérêt public à travers l’art de la protestation, des œuvres provocatrices, des déclarations visuelles et verbales qui peuvent lui faire du tort. Mais grâce à lui, la voix de nombreux autres se fait entendre et maintenant c’est la voix des artistes eux-mêmes. Il appelle les artistes à s’opposer à cette méthode.

Les artistes sont l’esprit vivant des nefs de la société. Les villes invitent les artistes à vivre dans leurs murs pour faire revivre la cité, l’embellir et lui instiller un esprit de jeunesse. Les artistes créent l’atmosphère et attirent les touristes. Les bâtiments de compagnies et les salles sont enrichis d’œuvres d’art, sans même parler des galeries et des musées qui vivent du miel des ruches des artistes.

Tous ces corps et ces organisations œuvrent pour un but – attention à la surprise- le gain financier ! L’art installé dans leurs couloirs les place au sein de l’élite culturelle et séduit bien sur un public payant.

Dans ce cas, pourquoi les artistes ne reçoivent-ils pas de rémunération pour leurs travaux installés dans ces lieux ? Croyez-vous que le directeur d’un auditorium / d’une mairie / un théâtre ou un musée emploie un plombier, un vitrier, une femme de ménage pour faire leur travail gratuitement ? Imagine-t-on le guide de musée, le propriétaire de galerie, le vendeur à la boutique du musée, le vendeur de billets, le directeur, le conservateur et le reste des métiers travailler sans salaire?

Toutes les personnes liées à ces organisations gagnent leur vie par leur travail et le jour où elles ne seront plus payées, elles cesseront d’y travailler. Mais les artistes, les créateurs, la substantifique moelle de l’activité des musées, le label de qualité de l’institution, ne valent pas rémunération. Ils sont invités à offrir leur travail sans la moindre compensation. On exige même souvent qu’ils supportent les coûts du transport, des cadres et plus, sans aucun remboursement de leurs dépenses en matières premières pour leur création.2

Cela dit, également pour celles et ceux qui ne sont pas familiers avec le monde artistique israélien, il faut bien dire que la situation mentionnée ci-dessus est précisément celle dont les artistes peuvent malgré tout bénéficier, en comparaison de l’anarchie qui fait rage depuis plusieurs années, en particulier entre les galeries. Dans le passé, les galeries et les éditeurs employaient des experts pour découvrir des créateurs et investir dans l’édition, la production, la publication, la conservation. A l’issue du processus, les œuvres étaient vendues et les profits partagés entre les artistes et la galerie / l’Edition.

La nouvelle mouture qui émerge depuis plus ou moins une décennie, opère tout à fait différemment. Il est exigé de chaque créateur de payer pour voir exposer ses œuvres dans une galerie. Les écrivains doivent acquitter une contribution pour pouvoir faire publier leurs livres, sans filtrage, mise en forme, sans aucun investissement.

Comme je connais le sujet des galeries de très près, je peux dire qu’il y a des galeries qui offrent une résidence permanente dans leur espace pour un montant mensuel qui est en fait un loyer pour une œuvre d’art. Un montant qui peut rapidement atteindre la valeur de la pièce d’art et facilement la dépasser aussi. Dans d’autres cas, les galeries publient des appels à des artistes autour d’un thème particulier, organisant une exposition pour une semaine ou deux ou un mois. Chaque artiste reçoit un petit espace de mur (généralement au mieux 1mètre carré ou à peu près) pour quelques centaines de shekels, pour avoir le droit de paraitre parmi une pluralité d’autres artistes sur le même mur et pour le temps attribué. Il suffit d’un calcul rapide pour chiffrer le formidable profit potentiel pour les entrepreneurs d’expositions. Quelle merveille ! les artistes payent pour eux-mêmes. Il est évident que les dépenses supplémentaires sont à mettre aux frais de l’artiste, y compris le transport, des frais matériels, parfois aussi pour la publicité et les cadres. Ces expositions sont généralement prévues pour la vente et donc, de la même vente, le conservateur/directeur de l’expo déduit une somme conséquente.

Jusque-là, nous avons compris comment tirer profit de l’art. Nous savons que toute personne qui travaille dans un des métiers de l’art en obtient un gain : le conservateur, le directeur de la galerie, le propriétaire, les secrétaires, les ouvriers chargés de suspendre les tableaux aux murs, les cadreurs, les agents de publicité, les nettoyeurs de surfaces, les guides, la boutique du musée et les employés de la cafétéria, les critiques d’art et les journalistes, les marchands et les collectionneurs. Aucun d’eux, à n'en pas douter, ne travaillera une minute sans salaire.

Mais les artistes, c’est autre chose. On attend d’eux qu’ils soient des êtres spirituels, sans besoins matériels, détachés des vanités du monde et non commercialisés ; « des corps glorieux ». On attend d’un artiste qu’il créé sans profit, sans aspirations de salaire et sans contraintes existentielles. Etrange, non?

Je suis une artiste de ce bord moi-même. L’art a toujours été une partie indivisible de ma vie mais en même temps il m’a fallu accepter tout un tas de petits boulots parfois bizarres pour gagner ma vie. Car, on le sait bien, il est impossible de vivre de son art… n’est-ce pas ? Car si quelqu’un vit de son art, ce n’est pas un artiste.

Mais alors, si l’art peut être commercialisé et si on peut en vivre, pourquoi les artistes doivent-ils être condamnés à demeurer dans leur tour d’ivoire de finesse et de nécessité ? en tant que femme privilégiée dans un monde postmoderne, j’ai eu la chance d’avoir une éducation qui pousse à ouvrir les yeux. Il y a de cela plusieurs années, je me suis installée dans l’art commissionné, pour lequel des acheteurs viennent réclamer et recevoir exactement ce qu’ils souhaitent pour un juste prix. On pourrait appeler cela de l’appropriation culturelle.

Tout a commencé avec de l’illustration de livres et a continué par de la peinture de portraits, puis je me suis constituée en auto-entreprise, avec un site web et toute une plateforme de marketing, avec des activités sur des réseaux sociaux et des promotions occasionnelles. Commercialisation?

Par petits pas et au fil de nombreuses années, j’ai bâti une base de clientèle et une marque de qualité et de fiabilité. A mon goût, c’est globalement très positif. N’importe quelle voiture ou appareil électrique ou ameublement aspire à ce degré de reconnaissance. Sauf que je suis une artiste, éduquée dans les sciences humaines et littéraires. Quiconque évolue dans ces sphères, y compris académiques, arts libéraux et beaux-arts est atterré par la commercialisation de mon travail. Aucun d’eux par contre n’est horrifié par les sommes maniées par les marchands et les musées qui font vivre des légions de travailleurs de ce même art. l’extension de la limite s’arrête aux pieds de l’artiste qui est requis de rester en dehors du marché de l’art, planer entre les nuages et vivre de poussière d’étoiles.

La commercialisation est une malédiction et un artiste qui pèche est dénoncé par le club élitiste des amateurs d’art, des curateurs, des écrivains, chercheurs et des galeries. Plus d’une fois j’ai entendu des critiques féroces de tels personnages qui gagnent leur vie entre les vagues du monde artistique, y compris des conservateurs, des personnels de musées et de galeries. D’élégantes vagues dorées sont créées autour d’un artiste et de son œuvre, mais lui, est condamné à sombrer comme une pierre dans l’abysse et jamais jouir de leur éclat.

1. Sur l’artiste Zeev Engelmeier, voir le site web Bezalel
2. Pour un article sur la collecte des honoraires d’artistes pour participer à des expositions, voir le site web de l’Association d’Artistes Plastique

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